Un résumé des conférences de l'édition 2022
Vous pouvez retrouver ici un résumé de chacune des conférences (rédaction P. Biscay)
Conférence Sylvie Vauclair
Sylvie Vauclair, astrophysicienne, a montré que le temps est une notion bien plus complexe que ce que nous percevons intuitivement.
A travers plusieurs questions (Comment le temps est-il mesuré ? Le temps mesuré (physique, objectif) est-il le même pour tout le monde ? Existe-t-il un temps cosmique ? Si oui, vivons-nous au temps cosmique ? L’instant existe-t-il ? Peut-on remonter le temps ? Et enfin qu’est-ce que le temps ?), elle nous laissé entrevoir cette complexité, due entre autres aux interactions avec les phénomènes gravitationnels. Une conférence parfois quasiment philosophique lorsqu’il est question du big bang. Elle a aussi commenté les premières images, extraordinaires, fournies par le James Webb.
Conférence Nathalie Brouillet
Nathalie Brouillet a décrit la nébuleuse d'Orion, une des régions célestes les plus observées. Elle fait partie d’un grand nuage de gaz et de poussières qui s’étire sur dans la constellation d’Orion, à 1350 années-lumière de la terre. Elle est suffisamment proche pour être observée avec précision. C’est une zone d’intense formation stellaire étudiée à l’aide de radiotélescopes qui révèlent l’intérieur des régions froides et sombres, inobservables en optique. Les interféromètres radio utilisés, IRAM et ALMA, ont une résolution spatiale inégalée qui permet d’identifier des structures fragmentées de poussière et de gaz où se forment de nouvelles étoiles et les systèmes planétaires associés. Ces interféromètres ont aussi la capacité d’analyser finement la composition moléculaire des fragments proto-stellaires. Une grande variété de molécules complexes a été identifiée, leur émission cartographiée et les abondances estimées. Les résultats nous interrogent sur leur processus de formation moléculaire et sur le lien possible entre la chimie des régions où se forment étoiles et systèmes planétaires et celle des comètes.
Documentaire « Big Bang, l'appel des origines »
Le documentaire « Big Bang, l'appel des origines », projeté en présence du réalisateur Dominique Réguème, nous a progressivement amené à mieux appréhender ce que représente le Big Bang grâce à des interviews d’astrophysiciens (Sylvie Vauclair, Yaël Nazé, Christophe Galfard, Aurélien Barreau et Jean-Pierre Luminet) et du physicien et philosophe des sciences Etienne Klein. Cette progression est accompagnée du parcours initiatique des deux filles du réalisateur, ce qui confère au documentaire une grande poésie. Comme lors de la conférence de Sylvie Vauclair, la question de « l’avant du Big Bang » a été abordée. Elle a à la fois suscité le questionnement du public et donné un aperçu des pistes actuelles de réflexion des physiciens.
Conférence Pascal Jacquier
Pascal Jacquier, apiculteur du Val d’Azun, a montré les spécificités de son métier dans le rude climat pyrénéen, encore largement préservé des pollutions chimiques mais déjà impacté par le changement climatique. Il a exposé sa conception du métier. Bien plus qu’avec des abeilles, c’est avec l’essaim que l’apiculteur travaille. Pascal nous a décrit sa pratique pour favoriser la séparation des essaims, leur offrir de bonnes conditions de vie et d’alimentation, tout en prélevant sa part de miel lui permettant de vivre décemment de son activité. L’essaim reste une structure naturelle sauvage qui n’appartient pas à l’apiculteur. Il peut par exemple décider à tout moment de migrer ailleurs. L’apiculteur ne doit donc tirer qu’un bénéfice raisonné de l’essaim de façon à permettre à celui-ci de survivre et prospérer.
Conférence Aurore Avarguès-Weber
Aurore Avarguès-Weber, chercheuse en cognition animale, a beaucoup travaillé sur les abeilles. Connues pour leur intelligence collective (communication symbolique, organisation du travail, construction optimale, …), elles fascinent. Mais il est difficile d’imaginer que chaque ouvrière soit elle-même douée d’une forme élaborée d’intelligence, du fait d’un cerveau minuscule et d’une durée de vie de quelques semaines uniquement. L’abeille constitue un modèle animal parfaitement adapté à l’étude scientifique car, génétiquement programmée pour récolter du sucre et le ramener à la ruche, elle a une motivation « infinie », à l’inverse d’autres animaux. Une méthode de démonstration consiste à afficher des images aux murs d’un labyrinthe et, pour l’image cible de l’apprentissage, un accès à de l’eau sucrée. Ces études complétées par de l’imagerie du cerveau, ont démontré que les abeilles, avec leurs capacités de base innées, s'avèrent bel et bien capables d’apprendre à compter, à classer des objets, à reconnaître des visages humains, à juger de leurs propres capacités de réussite face à un exercice difficile ou encore à éprouver une certaine forme d’émotion (stress). Ces preuves de capacités de raisonnement remettent en cause le dogme du caractère inné et réflexe des comportements des insectes ainsi que le lien direct entre intelligence et taille du cerveau. Pour obtenir un résultat sûr, il faut mettre en place des protocoles et des méthodes statistiques qui évitent des biais de confusion (attribuer à tort à l’abeille une capacité d’apprentissage). Ces résultats réduisent encore la distance supposée entre l’humain et le non-humain. Par exemple, l’abeille peut apprendre à compter jusqu’à 5, peu ou prou la capacité moyenne de reconnaissance automatique chez l’homme. Ces méthodes permettraient d’identifier avec un bon degré de conscience les effets d’un stress extérieur (pesticides) sur les capacités des abeilles. Les chercheurs proposent donc d’inclure ce type d’étude avant la mise sur le marché de nouvelles molécules.
Conférence François Tavoillot
Pour François Tavoillot, apiculteur et philosophe, nature et culture ont été fréquemment opposées, comme si la plupart des hommes, ayant oublié leur appartenance à la première, n’avaient pu concevoir leur développement et leur épanouissement que contre elle et à son détriment. Pourtant, dès la plus haute Antiquité, l’abeille a été perçue comme s'inscrivant en faux dans cette opposition. Apparemment domestiquée tout en restant sauvage, pourvoyeuse de douceur par le miel et de douleur par les piqûres, passant du confinement collectif dans les ténèbres de la ruche au vol solitaire dans l’espace et la lumière du ciel, …, l’abeille n’est qu’ambivalence. Son monde se situe à la charnière de plusieurs ordres du réel : le végétal et l’animal, la terre et le ciel, la nature et la culture, le vivant et l’éternel, l’humain et le divin, reliant ce qu’une pensée conceptuelle trop clivante avait pu opposer. Aucun animal n'a davantage fasciné les hommes. Les penseurs de toutes époques et de toutes civilisations ont cherché dans la ruche les secrets de la nature et les mystères de la culture. François Tavoillot a illustré comment s’est mise en place cette vision du rôle si singulier de l'abeille, médiatrice, garante du lien entre les hommes et la nature et comment elle est toujours à l’œuvre aujourd’hui dans notre imaginaire collectif. Elle est déjà présente dans la mythologie gréco-latine à travers l'histoire d'Aristée, ce demi-dieu apiculteur confronté à la disparition de ses butineuses. Au 17ème siècle, les structures alvéolaires des ruches inspirent des recherches pour une architecture idéale. Au 18ème, un livre anglais, au travers d’une fable sur un essaim d’abeille, prétend démontrer les bienfaits d’une économie libérale fondée sur l’intérêt personnel et la loi du marché. Au 19ème, Marx s’inspire de l’organisation de l’essaim pour illustrer ce qui serait une société égalitaire idéale. Aujourd’hui, bon nombre d'entre nous ressentent une inquiétude croissante face aux phénomènes actuels de surmortalité des abeilles comme s'ils préfiguraient notre propre avenir.
Conférence Hervé Le Treut
Hervé Le Treut a montré toute la complexité des mécanismes mis en jeu. Malgré cela, la crédibilité des modèles de prévisions est aujourd’hui démontrée, y compris à l’échelle des grandes régions du monde. Ce réchauffement résulte de l’accumulation de gaz à effets de serre (GES) dans l’atmosphère, du fait de l’activité humaine qui les génère en excès par rapport à ce que sur la planète est capable de capter. Il y a de plus un décalage de 20 à 30 ans entre le stock accumulé à un instant donné et l’effet complet. Le réchauffement actuel est donc en grande partie dû aux GES émis avant la fin du 20ème siècle. Cette inertie et les émissions des 2 premières décennies du 21ème siècle font qu’un réchauffement global de 2° est déjà quasiment inéluctable, même si le monde devenait neutre en carbone dès demain. Le rythme actuel des changements présente une rapidité unique dans l’histoire. Il s’accompagne d’une augmentation des évènement extrêmes qui nous fait ressentir ce qui attend l’humanité si rien n’est fait, à la fois pour limiter le réchauffement (atténuation) et s’adapter aux conséquences. Le temps de l’alerte est désormais passé et il faut passer à l’action. Ce besoin d’atténuation et d’adaptation se heurte à la fois à la complexité des mécanismes physiques et de notre société humaine. Il ne sera très certainement pas possible d’y arriver par la seule technologie, au moins à l’échelle du siècle, à cause des risques que pourraient induire certaines d’entre-elles, en particulier la géo-ingénierie. Il faut une transformation profonde de nos sociétés et l’objectif ne sera atteint qu’en prenant toutes les précautions pour que les changements nécessaires soient justes et socialement acceptables. Hervé Le Treut a choisi de s’engager à l’échelle régionale (projets néo-aquitains AcclimaTerra et NeoTerra), pertinente pour tester quelques-unes des transformations nécessaires (complexité, moyens financiers, compétences).
Conférence Christophe Cassen
Christophe Cassen, chercheur au CIRED (Centre International de Recherche sur l'Environnement et le Développement) a détaillé l’organisation mondiale et les mécanismes mis en place depuis la prise de conscience du changement climatique dû à l’activité humaine. L’enjeu géopolitique principal réside dans le dilemme climat – développement qui établit une ligne de fracture pays développés (les émetteurs initiaux de GES), les pays en développement (émissions de GES en forte croissance) et les pays en voie de développement (émissions faibles mais souvent premières victimes du changement climatique). Ces mécanismes complexes (juridiques, scientifiques, économiques, …) ont permis de surmonter peu à peu ce dilemme lors des différentes COP. Ils ont conduit à l’accord de Paris de 2015 (COP21) qui fixe un objectif de réchauffement global en 2100 (2°C), engage tous les pays à afficher un objectif national de réduction des émissions, un processus pluriannuel de révision si leur cumul n’est pas suffisant pour atteindre l’objectif global et définit un soutien financier des pays développés aux pays en voie de développement. Ce processus a pu paraître très long pour arriver à définir des objectifs partagés à l’échelle mondiale, mais c’est déjà une réussite compte-tenu de la complexité de notre société humaine. L’enjeu est maintenant de tenir cet objectif global et mettre en œuvre, pays par pays et dans des délais très courts, des politiques ambitieuses d’atténuation du changement climatique et de transition écologique. Il faut pour cela des outils d’évaluation de ces politiques pour concilier des contraintes variées : efficacité des technologies de réduction des GES, acceptabilité financière, acceptabilité sociale, impacts agricoles, limites physiques et durabilité du développement (disponibilité des matériaux par exemple), équité entre pays développés et en voie de développement. Les économistes et ingénieurs du CIRED développent des outils de prospective économique qui fourniront aux dirigeants des éléments d’aide à la décision pour identifier ce qui leur paraîtra la meilleure politique d’atténuation pour leur pays.
Conférence Jean-Denis Renard
Jean-Denis Renard, grand reporter au quotidien Sud-Ouest, a décrit l’émergence et l’évolution du traitement du changement climatique depuis les années 1990 dans un quotidien régional. La gravité du problème a très vite été identifiée, en témoigne la couverture des sommets de Rio puis Kyoto. Son traitement est passé par différentes phases. D’abord des articles pour informer le public et favoriser sa prise de conscience de la réalité du changement climatique et de son origine anthropique, via des interviews de scientifiques et malgré la contestation des climatosceptiques dans les années 2010. Puis, dans la dernière décennie, la multiplication des événements extrêmes et l’intensification de leurs conséquences, y compris à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine, ont encore accru la visibilité de la thématique dans le journal. La phase suivante verra sans doute un renforcement de l’information sur comment réussir la nécessaire transition écologique, comme par exemple l’accès à l’énergie décarbonée. Jean-Denis Renard nous a aussi décrit le positionnement global de Sud-Ouest, son organisation et les objectifs et contraintes de travail qui en résultent pour un grand reporter comme lui. Il a insisté sur la liberté journalistique qui est la sienne. Il a montré la difficulté à maintenir parfois la cohérence entre certains articles, économiques en particulier, et le nécessaire besoin de transition écologique. Ceci montre le besoin de formation interne des journalistes et de fonctionner un peu moins en « silo »